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mes actions professionnelles
25 avril 2013

Livret de VAE (7)

4.2.3 - Troisième situation de travail

 

            Dans cette troisième partie de mon travail, je montrerai de quelle manière j’ai pu mener en équipe une action éducative sous la forme d’un séjour dans une ferme pédagogique. J’expliciterai mon rôle dans ce projet collectif, les étapes qui ont conduit à sa réalisation et l’évaluation qui peut en être faite.

 

            Le projet d’établissement de la Mayotte prévoyait deux séjours éducatifs par groupe de vie dans l’année. L’un en milieu d’année et l’autre en toute fin d’année (le séjour d’été). Le séjour dont il est ici question correspond à celui de milieu d’année.

            Traditionnellement, il était de coutume de scinder le groupe des « Ptilous » en deux, organisant de fait deux séjours (toujours appelé « transfert » depuis l’époque où tout l’établissement était transféré dans un lieu de villégiature unique pendant un mois). Cela permettait d’offrir un choix aux enfants quant à leur destination mais aussi d’éviter de partir en trop grand groupe (vingt et un enfants internes et externes confondus) ce qui ne les aurait pas placé en de très bonnes dispositions pour passer un moment agréable, du fait de leur grande porosité à l’excitation ambiante. Nous avons donc, pour ces raisons, organisé deux séjours. Je m’étais porté volontaire pour jouer le rôle de « responsable de transfert » pour l’un des deux.

            Rapidement nous avons formé deux équipes de travail. La Mayotte possédait un grand chalet à la montagne (Notre Dame de Bellecombe, en Savoie) qui accueillait régulièrement les groupes pour les séjours. Cet endroit avait pour avantage ne pas prendre sur les budgets des séjours, le coût de l’hébergement économisé profitait à l’autre groupe. Il présentait aussi  l’intérêt de se situer au pied des pistes de ski, favorisant l’accès à ce type d’activité. Pour tout dire, ce séjour avait déjà un nom adopté par tous: « le transfert au ski ». Le groupe d’encadrant pour le ski s’était formé tout de suite. Il était formé d’éducateurs du groupe, d’enseignants et de la maitresse de maison du pavillon des « Ptilous ».

            Si je m’étais porté volontaire, c’est que j’avais dans l’idée de proposer un séjour centré sur des activités moins sportives, plus centrées sur la découverte. Je pensais déjà à quelques enfants pour lesquels le séjour au ski ne conviendrait pas, pour lesquels des activités plus accessibles et moins contraignantes seraient plus profitables. L’idée était venu au détour d’une conversation avec Delphine (enseignante) Audrey et Frédéric (éducateurs), nous étions d’accord pour préparer un séjour adapté aux plus petits du groupe, peut être en pension complète, ce qui nous permettrait de plus nous centrer sur l’accompagnement que sur l’intendance en terme de repas (il s’agissait d’un séjour de six jours et cinq nuits). L’idée était en germe, il nous fallait maintenant trouver l’endroit adapté.

           

Cet endroit devait remplir respecter certaines dispositions règlementaires concernant ce type de séjour, dont le texte de référence est l’arrêté du 26 mars 2003 définissant lesmodalitésd’organisation des transferts temporaires d’établissement pour enfants ou adolescents handicapés pris en charge en application du décret n° 89-798 du 27 octobre 1989 remplaçant les annexes XXIV, XXIV bis et XXIV ter du décret n° 56-284 du 9 mars 1956 modifié fixant les conditions techniques d’agrément des établissements privés de cure et de prévention pour les soins aux assurés sociaux.

 

Cet arrêté souligne l’intérêt pédagogique, éducatif et thérapeutique pour les projets individuels des enfants accueillis en établissements spécialisés.

Sont appelés transferts temporaires d'établissement, les séjours d'une durée supérieure à quarante-huit heures pendant les périodes de scolarité ou pendant les vacances scolaires.

Le directeur de l'établissement est responsable des enfants, des conditions de leur transport, de leur accueil matériel, de leur sécurité, de leur encadrement et des activités réalisées lors de ce transfert.

 

S’il ne participe pas au transfert, le directeur doit désigner son représentant parmi les personnels qui se déplacent avec les enfants. C’est cette responsabilité que j’avais choisi d’endosser avec le rôle de « responsable de transfert ». Le directeur délègue alors l’organisation du séjour au responsable, qui doit impérativement lui rendre compte.

 

Le directeur doit être clairement informé du lieu d'accueil en matière de sécurité, d'hygiène, de confort et d'adaptation aux handicaps des enfants (une visite préalable des lieux peut être envisagée si besoin en est).

Il décide de l'effectif et de la qualification des personnels de l'établissement qui accompagnent le transfert au regard du nombre d'enfants concernés, de la forme de l'accueil en transfert retenu, des personnels dont il pourra éventuellement disposer sur place et des activités prévues.

 

S'agissant notamment des activités physiques et sportives, le directeur veille tout particulièrement à prévoir des activités compatibles avec l'état de santé des enfants et à recruter des personnels possédant les diplômes requis pour encadrer efficacement ces activités.

Il organise les transports dans un souci d'assurer le confort et la sécurité des enfants transportés.

Il est chargé de prendre toute disposition pour la distribution des médicaments, de s'assurer de la présence d'une médecine de proximité, d'informer l'établissement de soins le plus proche de la présence du groupe d'enfants.

Il associe les enfants et leurs parents à l'élaboration du projet de transfert qu'il soumet au conseil de la vie sociale.

Il recueille l'accord des parents sur la participation de leur enfant.

Il est garant de la cohérence du programme d'activités prévu par l'équipe en faveur des enfants avec le projet d'établissement et le projet individuel de chacun des enfants.

 

            Un dossier de transfert doit être transmis aux services départementaux compétents en matière de contrôle du lieu d'implantation de l'établissement, au plus tard deux mois avant la date du transfert. Ce dossier est transmis à titre déclaratif :

            - pour le département d'origine du transfert, au directeur départemental des affaires sanitaires et sociales, à l'inspecteur d'académie lorsque le transfert est effectué en période scolaire et au directeur de la caisse régionale d'assurance maladie (médecin-conseil du contrôle médical)

           - pour le département du lieu d'accueil, au directeur départemental des affaires sanitaires et sociales.

 

En cas d'incidents survenus au cours du séjour, les services départementaux susmentionnés concernés doivent être avisés par le directeur de l'établissement ou son représentant.

 

            Cet arrêté permet de cerner le cadre règlementaire pour la construction du projet et introduit la notion de délégation du directeur. A la Mayotte, le responsable de transfert est non seulement le délégué du directeur pendant la durée du séjour, mais aussi le coordinateur du projet. Il est l’interlocuteur privilégié de la direction à ce sujet et de l’équipe. Il centralise les informations et tient à jour et s’informe de l’avancement des missions de chacun. Enfin, il cosigne le dossier de transfert avec le directeur et s’assure de sa bonne tenue.

            En tant qu’il transmet toutes les informations, renseigne et fait valider le projet par le directeur, la délégation accordée au responsable du séjour ne vaut pas transfert de responsabilité (du directeur au responsable).

 

Etant au clair avec le cadre réglementaire, nous avions, en prévision de la rédaction du projet pédagogique à fournir, fixé quelques objectifs généraux que nous voulions atteindre avec la mise en place de ce séjour (ils venaient compléter les objectifs des projets personnalisés):

            -apprendre à se projeter dans l’avenir, s’inscrire et participer à l’élaboration du projet

            -apprendre à se confronter à l’inconnu et la nouveauté sans provoquer trop d’angoisses

            -expérimenter le plaisir dans un contexte de changement

-prendre conscience de la possibilité de nouveaux modes relationnels

            -pour les externes : expérimenter la vie en collectivité en dehors du domicile familial

            -découvrir le monde

 

            La structure d’accueil que nous avons sélectionné (chacun avait cherché de son coté) remplissait un grand nombre de nos critères ; mieux, il ouvrait de belles perspectives. Il s’agissait d’une ferme pédagogique gérée par une association : « La Batailleuse ». Ce nom nous amusa, considérant le tempérament de nos petits « bagarreurs ». Mais ce n’est pas cela qui détermina notre choix.

            Cette association faisait partie des CLAJ (Clubs de Loisirs et d’Action pour la Jeunesse) affiliée à la Fédération Nationale des Jeunesses Populaires. Elle avait obtenu l’agrément Jeunesse et Sport.

            Cette structure proposait un hébergement, la possibilité de pension complète et de nombreuses activités liées à la ferme, telles que le soin aux animaux, la traite et la fabrication de produits laitiers issus de l’élevage. Son implication auprès de la jeunesse était sous-tendue par des valeurs humanistes et écologiques. La gestion de la partie production agricole était entièrement tournée vers des préoccupations de respect de l’environnement et de la personne. Tous les produits portaient le label « bio »; autant de valeurs qu’il nous semblait important de transmettre aux enfants que nous accompagnions.

           

 

            Après avoir synchronisé la période de départ avec le groupe du ski (les deux groupes devaient partir en même temps pour assurer la continuité de la prise en charge), nous avons pu annoncer ces deux propositions aux enfants et leur demander de faire un choix. C’était le moment du « rond ».

            Le « rond » était une réunion institutionnelle au sens qu’elle était prévue par le projet d’établissement dans le cadre de sa volonté de suivre les valeurs de pédagogie institutionnelle.     Il constitue une instance de participation à la vie de l’établissement, un lieu où s’expriment les attentes et les insatisfactions, où s’y formulent les suggestions et les initiatives. Elles sont examinées par le collectif et confrontées aux ressources, contraintes et aux limites.

C’est un espace où l’enfant peut prendre la parole dans un cadre fixé par des règles et rappelées à chaque début de séance : on demande la parole, on ne parle pas sans l’avoir obtenue. C’est le président du rond qui distribue la parole. Le contenu de la parole est libre à condition que le sujet concerne la collectivité (ce n’est pas le lieu pour régler des conflits), on ne donne pas de nom.

La réunion a une durée immuable fixée initialement à vingt minutes maximum. On inscrit l’heure de début et de fin. C’est le président qui ouvre et ferme la séance par des phrases-clés « je déclare la séance ouverte »,  « je déclare la séance fermée ». Le rond est une école d’écoute, d’expression, de partage et de responsabilité.

Idéalement, l’adulte fait partie du rond, à ce titre il est contraint aux mêmes règles que chacun même s’il tient sa place en matière d’animation, de rappel des règles de vie.

            Il y avait en réalité deux ronds. Un pour les internes, un autre pour les externes. En demi-groupe, il était déjà très difficile à ces enfants de tenir tous assis en même temps au même endroit, alors, en groupe entier, la réunion n’aurait pas commencé que l’audience aurait déjà été dispersé du fait de conflits et de crises d’angoisse (ce qui arrivait d’ailleurs régulièrement en petit comité).

            Nous avons bien essayé plusieurs combinaisons pour que cette réunion puisse se tenir et jouer son rôle mais force est de constater que nous n’y sommes pas parvenus. Le rond était très souvent la scène de parasitages, de crises violentes de bagarre… C’était bien le contraire de ce que nous attendions de ce dispositif institutionnel. Nous avons même songé (proposé) à ne plus le mettre en application ( les enfants qui y participaient étaient-ils prêt à toutes ces contraintes ?) mais la direction nous a renvoyé vers le projet d’établissement, un projet qu’il fallait suivre.

            Je reconnais aujourd’hui que nous aurions dû insister auprès de la direction pour argumenter sur le fait qu’il sortait plus de crispations que de bienfaits de ces réunions, qu’il nous fallait nous adapter aux capacités des enfants. Nous nous sentions culpabilisés de ne pas réussir, d’autant que le discours que l’on nous opposait était que nous n’avions qu’à trouver une solution, à nous adapter…

 

Nous avons tout de même réussi à impliquer les enfants à ce projet. Après leur avoir présenté les grandes tendances pour les deux séjours, nous leur avons demandé leur préférence. En leur indiquant bien que leur choix n’impliquait pas qu’il serait retenu (pour des raisons de place ou de pertinence au regard de leur projet personnalisé). Nous insistions sur le fait que leur désir serait l’argument le plus important, que nous essaierions de le faire passer avant le reste, mais qu’il n’était pas le seul élément pris en compte.

En fin de compte nous avions certainement bien envisagé ce projet en fonction de ceux que nous imaginions d’emmener parce que tous ces enfants se sont inscrits sur ce séjour. Nous avons eu quelques surprises (par exemple des « grands » qui ne voulaient pas aller au ski et préféraient aller à la ferme). Certains enfants faisaient leur choix en fonction des adultes qui partaient, ce qui était une manière de choisir comme une autre (tant que ça ne relève pas d’un processus trop fusionnel).

 

Le travail concernant l’élaboration de l’activité sur place fut très intéressant. J’étais en relation régulièrement avec la responsable des animateurs de la ferme et nous avons pu monter ensemble un programme riche et varié. Elle nous renseigna et nous conseilla sur les possibilités de sortie aux alentours ce qui nous offrait un large éventail de possibilités à proposer aux enfants. Elle nous renseigna sur la période d’arrivée des agneaux, ce qui orienta très fortement sur nos choix de date de départ.

Afin de préparer au mieux notre arrivée et d’offrir d’emblée un cadre rassurant aux enfants, nous étions en possession du plan des chambres. Ce qui nous a permis d’anticiper la répartition en fonction des souhaits de chacun, des complicités ou des antipathies éventuelles. Les enfants avaient choisi leur chambrée en fonction de leurs affinités et des places disponibles, ils ne partaient pas à l’aveuglette.

Nous avions discuté avec eux du départ, du trajet, des activités sur place. Nous avions consulté ensemble le site internet qui comportait des photos du site, des chambres, de la salle commune… Nous avions aussi regardé sur la carte routière le chemin à prendre.

Mais pour répondre à toutes leurs questions nous avions dû les anticiper et donc préparer minutieusement chaque aspect, chaque étape du séjour. Quand nous ne pouvions pas répondre à une question, nous différions la réponse pour en parler en équipe. Personne ne prenait de décision importante de son côté. Et forcément des questions imprévues il y en eu : « combien on ramène d’argent de poche ? » « Est-ce qu’on a le droit de ramener sa Nintendo ? », « Comment ils s’appellent les gens là-bas ? »…

 

Tenant compte des demandes des enfants, du temps passé sur place, de notre budget et des objectifs généraux que nous étions fixés (combinés aux objectifs des projets individuels),  nous avons, en concertation, arrêté des choix et articulé un planning pour les six jours. Le lecteur pourra retrouver le dossier complet du séjour en annexe, document No 7.

 

Nous avons également effectué un travail avec la famille qui constituait en tout premier lieu à leur présenter le projet, ses objectifs, l’intérêt que l’on entrevoyait pour leur enfant et les aspects pratiques. Chaque membre de l’équipe devait prendre contact avec un certain nombre de familles. Cela pouvait se présenter au moment où les parents venaient chercher leur enfant, au moment d’un entretien déjà prévu ou par téléphone s’il était difficile de les faire venir jusqu’à la Mayotte.

Pour les parents (ou responsable légaux) d’enfants externes, les considérations de trousseau, d’hygiène et d’habitudes alimentaires étaient déjà travaillées. Nous trouvions dans la perspective de ce séjour, l’occasion d’évoquer ces sujets avec les parents d’enfants externes. Ce serait aussi pour nous l’occasion d’observer les habitudes et l’autonomie de ces enfants concernant ces aspects. Sans compter que de vivre avec eux pendant six jours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre ne manquerait pas de modifier nos relations, le vécu partagé (ceci était vrai pour tous les enfants du séjour).

 

Enfin, pour le départ il nous fallait prévoir le plus de choses possibles sur le plan pratique et se répartir les tâches. Qui vérifie les trousseaux avant le départ ? (nous allions rencontrer de la neige, il fallait que les enfants soient équipés, nous pouvions fournir du matériel au besoin). Qui prépare les jeux (jeux société, luges…) que nous voulions emmener ? Qui s’occuperait des médicaments ? De la trousse à pharmacie ? Comment allions-nous procéder pour la prise en charge au quotidien ? Se repartirait-on la responsabilité des enfants ? C’était le « qui fait quoi ? ».

J’impulsais ces réflexions en réunion, cela était venu naturellement. Non pas que mon intention était de prendre les commandes, mais je crois que mon statut de responsable de transfert (celui qui coordonne et centralise) m’indiquait aux yeux de tous comme étant celui à qui incombe d’impulser une certaine dynamique de travail. Proposer des directions, évoquer la distribution des rôles, soulever des questions… comme une sorte de vecteur pour anticiper, faire des choix, s’entendre et travailler ensemble. Quand j’y repense aujourd’hui, je suis content de constater que ça a bien fonctionné, nous semblions heureux de travailler ensemble.

 

 

Ce séjour s’est montré riche en événements, en apprentissage, et en approfondissement des liens. Que ce soit entre les enfants, entre les enfants et les adultes mais aussi entre les adultes, les expériences vécues ont modifié la relation que nous avions les uns avec les autres. Nous avions passé six jours ensemble, presque en immersion, dans une continuité impossible à la Mayotte du fait des emplois du temps morcelés.

Ce que je retiendrais en priorité, peut-être parce que c’est ce que nous pouvions remarqué de plus immédiat, serait le niveau de tension du groupe. Il diminua considérablement dès le départ. Bien entendu avant de prendre la route, le temps de charger les véhicules, les enfants étaient très excités, mais aussitôt que nous eussions fait quelques kilomètres, nous avons senti comme un relâchement, qui se confirma lors des arrêts sur l’autoroute et à l’arrivée à la ferme. Le séjour se passa de façon assez paisible, au regard des problématiques ; en tout cas, les conflits étaient bien moins fréquents, moins violents et ne duraient pas aussi longtemps que d’habitude.

Je me souviens, à ce propos d’une anecdote concernant Damien (qui faisait l’objet de la première partie de mon travail) et qui me permet d’évoquer le fait que nous séjournions dans la ferme en même temps que deux classes de CM1 et leurs professeurs. Nous prenions tous nos repas dans une grande salle commune, une longue table nous était réservée à coté de celles des élèves présents dans l’établissement.

Un soir que nous mangions donc tous ensemble, une dispute, éclata entre Damien et un enfant de notre groupe que j’appellerai Yanis. Damien, dans une colère à la fois contenue et peut être un peu sur jouée, comme il pouvait le faire parfois, se leva brusquement, se dirigea vers la table où se trouvait le pain à disposition de tous, pris le couteau à découper et s’écria en le brandissant en plein milieu de la salle : « JE VAIS TE TUER, TA MERE LA PUTE ! » Il avait les yeux grands ouverts et l’expression du « tueur en série » sur le visage. Le gentil brouhaha du réfectoire s’éteignit instantanément, les yeux de tous les élèves et des  maitres se portaient sur ce petit garçon aux allures de psychopathe armé d’une lame longue comme son avant-bras qui se tenait figé. Damien, décontenancé par ce silence soudain, resta un moment dans sa position, regardant autour de lui tous ces yeux qui le fixaient, chacun se demandant quel drame allait arriver. Puis, tout naturellement, il reposa négligemment le couteau et dit : « bon, je vais plutôt remonter dans ma chambre… ». Je le raccompagnais.

Si je raconte cet épisode, c’est parce qu’il me semble emblématique de ce qui a pu se passer pendant ce séjour. Ces enfants vivaient une grande partie de leur temps à la Mayotte, un environnement un peu hors du monde, des réalités de ce qui s’y passe, déconnecté des normes sociales. Un endroit où par imitation, effet de groupe, de tels comportements étaient monnaie courante Et puis brusquement, en voilà un qui se comporte comme il le fait habituellement dans un environnement qui n’en a pas l’habitude. Je ne pense pas que Damien aurait attaqué Yanis, il n’en avait pas l’intention. Il voulait juste lui montrer qu’il fallait arrêter de l’embêter, qu’il était un « ouf », c’est bien l’image qu’il donna ce soir-là. Il en fut très perturbé quand je le raccompagnais. Un sentiment de honte qui le rendait triste. Il pleura beaucoup, triste pour lui d’en être là.

Je crois que c’est en grande partie en raison de ce regard extérieur que notre séjour s’est passé de façon si tranquille. Nous avions réussi à instaurer une atmosphère de vacances qui était renforcée par la rencontre avec ces enfants d’une école « normale »selon leurs propres mots. Quasiment tous les enfants de notre groupe ont fait de grands efforts pour se rapprocher de ces élèves de leur âge. Ils avaient très envie de se faire d’autres copains. Nous jouions les intermédiaires quand c’était nécessaire. Et c’est sans compter qu’il y a avait des filles dans ces classes, un enfant que j’appellerai Mickael est reparti amoureux avec des coordonnées échangées et des promesses mutuelles de garder contact. C’était bon de les voir comme ça. De voir que c’était possible, que la vision que nous avions de la vie à la Mayotte était peut être tronquée, biaisée.

Cela nous renforça dans l’idée qu’il nous faudrait multiplier les contacts vers l’extérieur, leur permettre des activités intégrées avec d’autres enfants, des bouffées d’air à l’année et pas seulement à une semaine en hiver et dix jours en été…s’accrocher au plaisir plutôt qu’à la souffrance de l’autre. Nous étions regonflés, remotivés avec de nouvelles perspectives.

 

Pour finir avec les évènements de ce séjour, je ne voulais pas passer à côté du plaisir d’évoquer la séance de luge et celle du contact avec les agneaux.

La séance de luge fut organisée à l’improviste en lieu et place d’une visite qu’un certain nombre d’enfant ne voulaient pas faire. Nous avons donc décidé de ne pas insister puis nous vint l’idée de tester les luges que nous avions apporté et que nous n’avions pas vraiment eu le temps d’utiliser. Ce fut près d’une heure trente de plaisir partagé. J’étais resté avec Frédéric (éducateur), nous avons joué tous ensemble à faire des descentes, des cascades, des chutes et de batailles de boules de neige sans qu’aucune dispute grave n’explose. Une parenthèse enchantée dont les enfants nous reparleraient longtemps après et que je me remémore avec un grand plaisir.

L’épisode des agneaux : nous avions au programme une séance avec des agneaux. La monitrice qui s’occupait de l’activité proposa aux enfants d’entrer dans l’enclos avec ces petites bêtes de quelques semaines. Ce fut un moment d’une très grande tendresse. Les enfants, d’abord réticents se laissèrent prendre au jeu poussés par leur envie de les caresser. Nous étions donc dans cet enclos, assis par terre avec tous ces agneaux qui ne cherchaient qu’à venir sur nos genoux, à téter nos doigts, à brouter gentiment nos cheveux. Les enfants se laissèrent aller, en confiance, comme rarement je ne les avais vus, dans un élan de tendresse infinie et désintéressée. Ils recevaient et donnaient la tendresse à ces bébés, les caressant, leur faisant des bisous, leur parlant doucement. Ils eurent du mal à les quitter et insistèrent pour y retourner les jours suivants. Ce fut pour la plupart (et pour moi de les voir comme cela) le souvenir le plus doux du séjour.

D’une façon générale, le contact avec les animaux avait un effet apaisant sur ces enfants. Ils avaient l’envie de faire attention à eux, de les soigner, de les aimer. Ils acceptaient de vivre cette expérience, de se laisser approcher par un autre, de l’accueillir en eux, même si ce n’était au début que par un animal. Cette expérience d’empathie nous semblait à reproduire par la suite.

Nous avons, au retour du séjour contacté une ferme itinérante du Val d’Oise qui s’est proposé de faire venir des animaux une fois par semaine dans notre établissement ; cette activité eu un vif succès auprès des enfants ayant participé au séjour.

 

Rétrospectivement, compte tenu des enfants qui étaient venus avec nous, je pense que nous aurions eu intérêt à alléger quelque peu le programme de ces six jours. Nous avions fait en sorte qu’il n’y ait pas de temps mort. Même les temps informels, libres étaient programmés à l’avance… Cela ne nous a pas empêché de déroger aux prévisions, mais force est de constater que nous sentions parfois que les enfants auraient eu envie de prendre plus leur temps, alors que nous avions des heures à respecter, que nous avions réservé telle plage horaire pour telle activité. Nous nous sommes rendu compte de l’importance de ces moments de flottement qui permettent de faire émerger l’inconnu. Ce que Joseph Rouzel appelle « l’imprévu, le grain de sable » dans le quotidien en éducation spécialisée[1]. Ces moments sont précieux parce qu’ils permettent que se jouent les relations entre les enfants, mais aussi entre eux et nous, de permettre d’y revenir dans l’après coup et de s’interroger sur la nature de ce qui fonde la relation éducative que nous entretenions avec eux. De la repenser, de trouver le moyen de se placer à bonne distance pour aider l’autre à s’ajuster et peut être même parfois à reconsidérer son fonctionnement, en entrevoir ce qu’il coûte, à quoi il sert.

D’un point de vue de travail d’équipe, ce séjour nous a permis de véritablement nous rencontrer. Ces six jours ensemble ont été l’occasion de nous découvrir tant sur le plan professionnel que personnel. Le soir, quand les enfants étaient couchés, nous pouvions être ensemble, reparler de la journée, discuter de tout et de rien, plaisanter. Autant de moments que nous ne prenions pas à la Mayotte ou bien que nous avions l’impression de voler à notre temps de travail.

Voilà une des leçons que j’ai pu tirer de ce séjour. Ces temps informels autour de la cigarette, du petit café, le « comment se sont passés tes vacances ? » le jour de la rentrée, s’infiltreront de toute façon et trouveront le moyen d’avoir lieu. Alors, soit ils grignotent (de façon coupable) sur les temps institutionnels, soit ils sont prévus par eux. Il me semble que faire du lien, même entre collègues et puisque nous avons nécessité à travailler en équipe, fait partie intégrante de notre travail, que ce lien est un de nos outil de travail et parmi les plus précieux; j’en saisis à présent toute l’importance.



[1] Rouzel, Joseph, le quotidien en éducation spécialisée, Paris, Dunod, 2004, p.XIX.

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